Les malheurs de la France

Bivouac après le combat du Bourget (21 décembre 1870)« Je déplore avec vous les malheurs de la France et l’absence d’un homme supérieur qui puisse y porter remède ; mais il faut élever nos regards plus haut.

Ce qui m’effraie plus que les victoires des Prussiens, ce sont nos propres fautes, qui nous les ont attirées. Ceux-ci n’ont été qu’un instrument, un châtiment dans la main de Dieu. Notre pauvre so-ciété avait si grand besoin d’expiation, plongée qu’elle était dans les jouissances du luxe et du bien-être matériel ! Joseph de Maistre a bien dit que lorsqu’il y a débordement de crimes, il faut qu’il y ait débordement de sang. Par malheur, jusqu’à ce jour, la nation, comme nation, ne semble pas encore comprendre la nécessité de s’humilier et de recourir à Dieu. Pourtant je suis convaincu qu’il n’attend d’elle que cet acte de foi, pour la sauver. Mais quand je lis les proclamations gouvernementales qui ne parlent que de la fortune, du génie, de l’étoile de la France, je suis effrayé de ces stupidités ; elles nous placent bien au-dessous, je ne dis pas seulement de nos ennemis (chrétiens, du moins, quoique hérétiques), mais au-dessous des païens qui croyaient à la divinité et à la prière. Je me demande comment Dieu se laisserait désarmer, tant qu’on l’outrage, au nom de la nation, par ces honteuses inepties !…

Quand donc les peuples et les princes en viendront-ils à comprendre qu’on ne peut trouver l’ordre vrai et la stabilité, que dans l’accomplissement de la loi divine et dans l’Évangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Sans lui, après avoir subi bien des agitations et des troubles, après avoir épuisé tout le savoir-faire de la sagesse humaine, nos habiles arriveront à des déceptions d’autant plus cruelles, que leurs efforts désespérés pour retarder la crise, l’auront rendue plus terrible, en condensant les matières inflammables dont ils redoutent tant l’explosion. […]

Qu’il fait bon, dans de semblables épreuves, sentir qu’on est entre les mains d’un Dieu puissant et bon, dont la justice, ici-bas, est encore une miséricorde ! »

Père Alexandre-Vincent JANDEL O.P. (Maître général de l’Ordre dominicain), 1871.