Juin 13

Jean François de La Harpe (1739-1803)

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Jean-Francois de la Harpe 1739-1803Le protégé de Voltaire

Né le 20 novembre 1739 à Paris (dans la paroisse de Saint-Nicolas-du-Chardonnet), Jean-François de La Harpe a 20 ans lorsqu’il publie ses premiers vers antireligieux (Les Héroïdes, 1759), qui attirent aussitôt l’attention de Voltaire.

Le jeune La Harpe devient alors, comme dit Sainte-Beuve, ‘le premier lieutenant de Voltaire. Ce dernier fait couronner les discours et les poèmes de son poulain par l’Académie française. En 1776, malgré l’opposition de la Sorbonne et de l’archevêque de Paris, Voltaire et d’Alembert réussissent même à faire élire La Harpe académicien. La Harpe continue de flatter son vieux protecteur, qui meurt deux ans plus tard (1778). Il compose en son honneur un Éloge de Voltaire qui reçoit le prix d’éloquence de l’Académie.

Le parvenu

La Harpe est désormais un personnage : directeur du Mercure de France, qui règne sur les lettres françaises. C’est un correspondant régulier du tsar Paul Ier (qui l’invite plusieurs fois à sa table lors de sa visite en France).

En 1789, il s’enthousiasme pour la Révolution. Il applaudit particulièrement les mesures antireligieuses. Fidèle à son maître à penser, Voltaire, il désigne constamment l’Église catholique par les termes fanatisme et superstition. Il dénonce les prêtres comme « les charlatans à étole » complice des « charlatans à couronne » (Mercure de France, 23 novembre 1793). Il affirme que c’est de la messe que sont venus tous nos malheurs (Mercure de France, 1er mars 1794). Pourtant, il déplaît à Robespierre, qui l’inscrit sur la liste des suspects. Le 26 ventôse de l’an II (16 mars 1794), La Harpe est arrêté. Emprisonné pendant quatre mois, il n’échappe à la mort que grâce à la chute de Robespierre. Mais Quelqu’un l’attend dans sa prison.

Conversion en prison (mars 1794)

La Harpe a raconté sa conversion dans une lettre à un ami.

C’est d’abord l’arrivée en prison :

« II était déjà nuit ; on me fit traverser trois longs corridors, où je vis épars ça et là des hommes, ou plutôt des spectres, pâles, silencieux, rêveurs, abattus. J’arrive enfin à la cellule qui m’était destinée ; le conducteur me dit d’une voix rauque et forte : ‟Il ne vous faut rien ? – Rienˮ, lui dis-je. À ces mots, il tourne une grosse clef, et m’enferme dans mon cachot.

« Je m’approche à tâtons d’un lit, ou plutôt d’un vieux grabat, où je croyais pouvoir trouver quelque repos. La première idée qui s’offrit à mon esprit, ce fut de songer au malheureux qui, la veille, avait couché dans ce même lit, et qui n’était déjà plus. Aussitôt mes yeux se couvrent d’un nuage ; à travers ce nuage, mon imagination effrayée me représente tout à la fois l’échafaud, la mort, l’enfer… l’enfer pour toute l’éternité ! Je me prosterne et m’écrie :

Mon Dieu, aie pitié de moi ! Aie pitié de moi, mon Dieu ! Je sais combien je suis coupable ; mais je connais aussi toute l’étendue de ta miséricorde. Tu vois mes larmes, mon repentir sincère ; ne dédaigne point un cœur contrit et humilié. Si ma dernière heure est venue, rends-moi digne de me présenter au tribunal de ta suprême justice ; que si ta bonté veut encore prolonger mes jours, affermis-moi dans la résolution de ne vivre désormais que pour te servir, que pour expier mes fautes. Je jure, dans toute la sincérité de mon âme, d’abjurer tous les faux systèmes que j’ai professés jusqu’ici ; de faire aimer, de propager ton culte, autant qu’il me sera possible, et de réparer, tant par ma conduite que par mes écrits, le scandale que j’ai pu donner à l’Église et à notre sainte foi catholique, apostolique et romaine. ˮ

« A peine eus-je prononcé cette prière, souvent interrompue par mes sanglots, que je sentis comme un baume vivifiant couler dans mon âme ; il me parut entendre ces mots consolants : ‟Dieu vient d’exaucer ta prière, il accepte la promesse que tu lui fais ; tiens ta parole, et songe bien qu’on ne le trompe jamais impunément.ˮ

« Je regarde autour de moi, je porte mes pas du côté d’où j’avais cru entendre partir la voix ; je ne trouve personne. Je ne doutai pas que ce ne fût un de ces messagers de l’Éternel qui portent ses ordres sur la terre. Je me préparais à lui témoigner ma reconnaissance, lorsqu’un doux sommeil vint fermer mes paupières et me donner un repos que j’avais perdu depuis longtemps.

« Le lendemain, je me réveillai à la pointe du jour, l’âme enivrée des prémices d’une béatitude que je ne saurais décrire. En ce moment, les souvenirs de la Révolution, les agents et les instruments de la mort, l’image de ma captivité, ma prison même, tout disparut devant moi ; je ne vis que Dieu seul. »

Après cette première grâce, La Harpe emploie son temps à la lecture des Évangiles et des psaumes. Mais l’inquiétude le reprend. Sa conscience est chargée de nombreuses fautes. Il voudrait les confesser à un prêtre et recevoir l’absolution, pour être sûr du pardon de Dieu. Mais aucun prêtre n’est disponible.

La réponse de Dieu

À ces inquiétudes, La Harpe reçoit la réponse en ouvrant le célèbre ouvrage L’Imitation de Jésus-Christ :

« J’étais dans ma prison, seul, dans une petite chambre et profondément triste. Depuis quelques jours j’avais lu les Psaumes, l’Évangile et quelques bons livres. Leur effet avait été rapide, quoique gradué. Déjà j’étais rendu à la foi ; j’y voyais une lumière nouvelle ; mais elle m’épouvantait et me consternait en me montrant un abîme, celui de quarante années d’égarement. Je voyais tout le mal, et aucun remède. Rien autour de moi qui m’offrît les secours de la religion. D’un côté, ma vie était devant mes yeux, telle que je la voyais au flambeau de la vérité céleste, et de l’autre, la mort, la mort que j’attendais tous les jours, telle qu’on la recevait alors. Le prêtre ne paraissait plus sur l’échafaud pour consoler celui qui allait mourir ; il n’y montait que pour mourir lui-même.

« Plein de ces désolantes idées, mon cœur était abattu, et s’adressait tout bas à Dieu, que je venais de retrouver et qu’à peine je connaissais encore. Je lui disais : ‘Que dois-je faire ? Que dois-je devenir ?’ J’avais sur une table l’Imitation, et l’on m’avait dit que dans cet excellent livre je trouverais souvent la réponse à mes pensées. Je l’ouvre au hasard, et je tombe en l’ouvrant, sur ces paroles : ‘Me voici, mon fils (c’est Jésus-Christ qui parle) ; je viens à vous, parce que vous m’avez invoqué.’ Je n’en lus pas davantage : l’impression subite que j’éprouvais est au-dessus de toute expression, il n’est pas plus possible de la rendre que de l’oublier. Je tombai la face contre terre, baigné de larmes, étouffé de sanglots, jetant des cris et des paroles entrecoupées. Je sentais mon cœur soulagé et dilaté. Assailli d’une foule d’idées et de sentiments, je pleurai longtemps, sans qu’il me reste d’ailleurs d’autres souvenirs de cette situation, si ce n’est que c’est, sans aucune comparaison, ce que mon cœur a jamais senti de plus violent et de plus délicieux : Me voici, mon fils ! »

Libéré après le 9 Thermidor (chute de Robespierre), La Harpe persévère dans ses résolutions. Il pratique publiquement la religion catholique et la défend courageusement contre ses persécuteurs.

Contre la manipulation du langage (1797)

En 1797, La Harpe publie un ouvrage important : Du Fanatisme dans la langue révolutionnaire. Réfléchissant sur les causes de la Révolution, il est le premier à dénoncer un mécanisme essentiel de la Terreur : la manipulation du langage.

Il montre comment les révolutionnaires ont donné un sens nouveau à des mots porteurs d’une forte charge émotive, afin de manipuler les foules. Ils ont établi un véritable contre-langage (une « langue inverse ») qui permet d’asservir au nom de la liberté, de tyranniser au nom de l’égalité, de massacrer au nom de la fraternité, de persécuter au nom de la tolérance, etc.

La Harpe montre comment cette inversion du langage – qui a mené à la guillotine et au génocide vendéen – a été mise en place par les prétendus philosophes des Lumières, notamment Voltaire lorsqu’il employait systématiquement le mot fanatisme pour désigner la religion catholique. (La Harpe désigne cette inversion de langage par l’expression langue inverse ; on a inventé, depuis, le mot novlangue).

Rétractation définitive la veille de sa mort (1803)

La Harpe a clairement désavoué les blasphèmes et les mensonges de Voltaire, mais il tient à le redire une dernière fois la veille sa mort. Après avoir reçu les derniers sacrements, le 10 février 1803, il ajoute à son testament le codicille suivant :

« … Je déclare que je crois fermement tout ce que croit et enseigne l’Église romaine, seule Église fondée par Jésus-Christ ; que je condamne d’esprit et de cœur tout ce qu’elle condamne ; que j’approuve de même tout ce qu’elle approuve. En conséquence, je rétracte tout ce que j’ai écrit et qui a été imprimé sous mon nom, de contraire à la foi catholique ou aux bonnes mœurs ; le désavouant, et, autant que je puis, en condamnant et dissuadant la promulgation, la réimpression et la représentation sur les théâtres. Je rétracte également et condamne toute proposition erronée qui aurait pu m’échapper dans ces différents écrits. J’exhorte tous mes compatriotes à entretenir des sentiments de paix et de concorde. Je demande pardon à ceux qui ont cru avoir à se plaindre de moi, comme je pardonne bien sincèrement à ceux dont j’ai eu à me plaindre. »

Il faut lire les Évangiles !

Dans ses papiers, on trouva une Apologie de la religion inachevée. Il insiste sur la nécessité de lire les Évangiles et les psaumes. Il cite le récit de la guérison miraculeuse de l’aveugle né (Jn 9) et s’écrie :

« Et moi aussi je crois, et je vous adore, adorable auteur et du récit et du miracle, qui, l’un et l’autre, sont de Dieu. Et moi aussi j’étais aveugle, non pas de naissance, mais d’orgueil, ce qui est bien pis ; et vous avez eu pitié de moi, et vous m’avez ouvert les yeux ; ne permettez pas, je vous en conjure, qu’ils se referment jamais après avoir vu votre lumière, ni que les malédictions de l’impiété ferment jamais ma bouche, après que vous lui avez permis de vous confesser, tout indigne qu’elle en fut toujours. »

Coeur Sacré de JésusEt il insiste :

« Tout est dans ces livres divins, et le malheur le plus commun et le plus grand est de ne pas les lire. Il y a, entre autres, un sermon de la Cène, qui me parut contenir toute notre religion, et où chaque parole est un oracle du Ciel. Je ne l’ai jamais lu sans une émotion singulière ; que de fois je me suis dit ce que disait aux pharisiens cet agent de la synagogue, en s’excusant de n’avoir pas fait arrêter Jésus-Christ : ‟Que voulez-vous ? Jamais homme n’a parlé comme cet homme.ˮ Et c’est un juif qui disait cela ! Quel terrible arrêt contre les chrétiens infidèles ! Il m’est impossible à chaque verset de ce sermon, de ne pas entendre un Dieu, j’en suis aussi sûr que si je l’avais entendu en personne. C’est alors que je m’écrie : que la religion est belle ! Elle est belle comme le Ciel dont elle est descendue ; elle est grande comme le Dieu dont elle est émanée ; elle est douce comme le Cœur de Jésus-Christ qui nous l’a apportée. »