Jan 25

L’engrenage antiliturgique du protestantisme

Par Dom Guéranger

En parlant de Luther, Dom Guéranger expose ainsi les douze caractéristiques de l’hérésie antiliturgique.

  1. — Le premier caractère de l’hérésie antiliturgique est la haine de la Tradition dans les formules du culte divin. Tout sectaire voulant introduire une doctrine nouvelle, se trouve infailliblement en présence de la Liturgie, qui est la Tradition à sa plus haute puissance, et il ne saurait avoir de repos qu’il n’ait fait taire cette voix, qu’il n’ait déchiré ces pages qui recèlent la foi des siècles passés. En effet, comment le luthérianisme, le calvinisme, l’anglicanisme se sont-ils établis et maintenus dans la messe ? Il n’a fallu pour cela que la substitution de livres nouveaux et de formules nouvelles, aux formules et aux livres anciens, et tout a été consommé. Rien ne gênait plus les nouveaux docteurs ; ils pouvaient prêcher tout à leur aise : la foi des peuples était désormais sans défense.
  2. — C’est le second principe de la secte antiliturgique de remplacer les formules de style ecclésiastique par des lectures de l’Écriture Sainte.

Elle y trouve deux avantages ; d’abord celui de faire taire la voix de la Tradition qu’elle craint toujours ; ensuite un moyen de propager et d’appuyer ses dogmes, par voie de négation ou d’affirmation.

  • Par voie de négation en passant sous silence, au moyen d’un choix adroit, les textes qui expriment la doctrine opposée aux erreurs qu’on veut faire prévaloir.
  • Par voie d’affirmation, en mettant en lumière des passages tronqués qui, ne montrant qu’un des côtés de la vérité, cachent l’autre aux yeux du vulgaire.

On sait depuis bien longtemps, que la préférence donnée, par tous les hérétiques, aux Écritures Saintes sur les définitions ecclésiastiques, n’a pas d’autre raison que la facilité qu’ils ont de faire dire à la parole de Dieu tout ce qu’ils veulent, en la laissant paraître ou en l’arrêtant à propos…

  1. — Le troisième principe des hérétiques sur la réforme de la liturgie est, après avoir expulsé les formules ecclésiastiques et proclamé la nécessité absolue de n’employer que les paroles de l’Écriture dans le culte divin, voyant ensuite que l’Écriture ne se plie pas toujours, comme ils le voudraient à toutes leurs volontés, leur troisième principe, disons-nous, est de fabriquer et d’introduire des formules diverses, pleines de perfidie, par lesquelles les peuples sont plus solidement encore enchaînés à l’erreur et tout l’édifice de la réforme sera consolidé pour des siècles.

On ne doit pas s’étonner de la contradiction que l’hérésie présente ainsi dans ses œuvres, quand on saura que le quatrième principe, ou si l’on veut la quatrième nécessité imposée aux sectaires par la nature même de leur état de révolte, est une habituelle contradiction avec leurs propres principes.

  1. —Ainsi, tous les sectaires, sans exception, commencent par revendiquer les droits de l’Antiquité. Ils veulent débarrasser le christianisme de tout ce que l’erreur et les passions des hommes y ont mêlé de faux et d’indigne de Dieu. Ils ne veulent rien que de primitif, et prétendent reprendre au berceau l’institution chrétienne. A cet effet, ils élaguent, ils effacent, ils retranchent, tout tombe sous leurs coups. Et lorsqu’on s’attend à voir reparaître dans sa première pureté le culte divin, il se trouve qu’on est encombré de formules nouvelles qui ne datent que de la veille et qui sont incontestablement humaines.

Toute secte subit cette nécessité nous l’avons vu chez les monophysites, chez les nestoriens nous retrouvons la même chose dans toutes les branches des protestants.

Remarquons encore une chose caractéristique dans le changement de la Liturgie par les hérétiques. C’est que dans leur rage d’innovation, ils ne se contentent pas d’élaguer les formules de style ecclésiastique qu’ils flétrissent du nom de parole humaine, mais ils étendront leur réprobation aux lectures et aux prières même que l’Église a empruntées à l’Écriture. Ils changent, ils substituent, craignant jusqu’à la moindre parcelle d’orthodoxie qui a présidé aux choix de ces passages.

  1. — La réforme de la liturgie étant entreprise par les sectaires dans le même but que la réforme du dogme dont elle est la conséquence, il s’ensuit que, de même que les protestants se sont séparés de l’unité afin de croire moins, ils se sont trouvés amenés à retrancher, dans le culte, toutes les cérémonies, toutes les formules qui expriment des mystères. Ils ont taxé de superstition, d’idolâtrie, tout ce qui ne leur semblait pas purement rationnel, restreignant ainsi les expressions de la foi, obstruant par le doute et même par la négation, toutes les voies qui ouvrent sur le monde surnaturel.

Ainsi plus de sacrements, hors le baptême (en attendant le socianisme qui en affranchira ses adeptes), plus de sacramentaux, de bénédictions, d’images, de reliques, de saints, de processions, de pèlerinages, etc. Il n’y a plus d’autel, tourné vers le saint sacrement, mais seulement une table, tournée vers les hommes, plus de sacrifice comme dans toute religion, mais seulement une cène, plus d’église, mais seulement un temple, comme chez les Grecs et les Romains.

  1. — La suppression des choses mystérieuses dans la Liturgie protestante, devait produire infailliblement l’extinction totale de cet esprit de prière, qu’on appelle onction dans le catholicisme. Un cœur révolté n’a point d’amour, et un cœur sans amour pourra tout au plus produire des expressions passables de respect ou de crainte, avec la froideur superbe du pharisien. Telle est la liturgie protestante.
  2. — Traitant noblement avec Dieu, la Liturgie protestante n’a point besoin d’intermédiaires créés. Elle croirait manquer au respect dû à l’Être souverain en invoquant l’intercession de la Sainte Vierge, la protection des saints. Elle exclut toute cette idolâtrie papiste qui demande à la créature ce qu’on ne doit demander qu’à Dieu seul.
  3. — La réforme liturgique ayant pour une de ses fins principales l’abolition des actes et des formules mystiques, il s’ensuit nécessairement que ses auteurs devaient revendiquer l’usage de la langue vulgaire dans le service divin. Aussi est-ce là un des points les plus importants aux yeux des sectaires. Le culte n’est pas une chose, secrète, disent-ils, il faut que le peuple entende ce qu’il chante. La haine de la langue latine est innée au cœur de tous les ennemis de Rome. Ils voient en elle le bien des catholiques dans tout l’univers, l’arsenal de l’orthodoxie contre toutes les subtilités de l’esprit de secte.
  4. — En ôtant de la Liturgie le mystère qui abaisse la raison, le protestantisme n’avait garde d’oublier la conséquence pratique, savoir l’affranchissement de la fatigue et de la gêne qu’imposent au corps les pratiques de la Liturgie papiste. D’abord plus de jeûne, plus d’abstinence, plus de génuflexions dans la prière ; pour le ministre du Temple, plus d’office journalier à accomplir, plus même de prières canoniales à réciter au nom de l’Église.

Telle est une des formes principales de la grande émancipation protestante : diminuer la somme des prières publiques et particulières.

  1. — Comme il fallait au protestantisme une règle pour discerner, parmi les institutions papistes, celles qui pouvaient être les plus hostiles à son principe, il lui fallut fouiller dans les fondements de l’édifice catholique, et trouver la pierre fondamentale qui porte tout. Son instinct lui a fait découvrir tout d’abord ce dogme inconciliable avec toute innovation : la puissance papale.

Lorsque Luther écrivit sur sa bannière « Haine à Rome et à ses lois », il ne faisait que promulguer, une fois de plus, le grand principe de toutes les branches de 1a secte antiliturgiste. Dès lors, il a fallu abroger en masse le culte et les cérémonies, comme étant l’idolâtrie de Rome ; la langue latine, l’office divin, le calendrier, le bréviaire, toutes « abominations de la grande prostituée de Babylone ».

  1. — L’hérésie antiliturgiste, pour établir à jamais son régime, avait besoin de détruire, en fait et en principe, tout sacerdoce dans le christianisme. Car elle sentait que là où il y a un pontife, il y a un autel, et que là où il y a un autel, il y a un sacrifice, et partant un cérémonial mystérieux. Après donc avoir aboli la qualité de Pontife suprême, il fallait anéantir le caractère de l’évêque, duquel émane la mystique imposition des mains qui perpétue la hiérarchie sacrée.

De là un vaste presbytérianisme qui n’est que la conséquence immédiate de la suppression du Pontife souverain. Dès lors, il n’y a plus de prêtre proprement dit ; comment la simple élection, sans consécration, ferait-elle un homme sacré ? Il n’y a donc plus que des laïques dans le protestantisme. Et cela devait être puisqu’il n’y a plus de Liturgie. Tout le monde est proclamé prêtre. Plus de distinction entre sacerdoce du baptême et sacerdoce de l’Ordre.

  1. — Enfin, le sacerdoce n’existant plus, puisque la hiérarchie est morte, le prince, seule autorité possible entre laïques, se proclame chef de la religion. Et l’on verra les plus fiers réformateurs, après avoir secoué le joug spirituel de Rome, reconnaître le souverain temporel pour pontife suprême, et placer le pouvoir sur la liturgie parmi les attributions du « « droit majestatique ».

Extrait de Dom Prosper Guéranger O.S.B., Institutions liturgiques.

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