La Messe
Cette solennité se célébrait, avant la réforme du Bréviaire, le vendredi après le IVe dimanche de Carême. L’office, du reste, est le même sauf l’alléluia que l’on dut ajouter.
Introït : « Seigneur, vous nous avez rachetés par votre sang, de toute tribu, de toute langue, de tout peuple, de toute nation et vous avez fait de nous un royaume à notre Dieu. — Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur, je publierai de ma bouche la vérité de vos promesses de génération en génération ».
Saint Jean voit devant le trône de Dieu cette foule innombrable des élus qui acclament sa miséricorde. Et leurs acclamations formaient comme un bruit violent de tonnerre. Cette foule bienheureuse, c’est le « royaume de Dieu », ce royaume conquis par le Sang de Jésus. Les fils du royaume sont les fils de ce Sang. Il y en a de partout : de toute tribu, de toute langue, de toute nation. Sur la croix Jésus étend ses bras comme pour embrasser l’univers entier. Tous peuvent venir : les bras de Dieu sont ouverts. Son sang coule de ses plaies, de ses mains, de ses pieds, de son côté, de toutes les blessures dont il est meurtri. Approchez ! Ce sang est pour tous. Personne n’est excepté, personne n’est renvoyé. Au plus misérable d’en recevoir en plus d’abondance. Mais pour profiter de ce sang et devenir par lui fils du royaume éternel de Dieu, il faut croire à la vertu de ce sang, il faut y puiser le suprême pardon et le suprême amour. Volenti salus, dit saint Augustin, Nolenti supplicium. A celui qui veut, ce sang donne le salut ; à celui qui ne veut pas, il devient un supplice, supplice du remords éternel.
Oraison : « Dieu tout-puissant, éternel, qui avez établi votre Fils unique Rédempteur du monde et avez voulu être apaisé par son Sang, accordez-nous, nous vous en prions, de vénérer avec une si grande solennité le prix de notre salut, et par sa vertu d’être délivrés des maux de cette vie, que nous puissions en goûter les fruits éternels dans le ciel ».
Pas de rémission des péchés sans le prix du sang, dit saint Paul. Rappelons-nous que le péché d’Adam fut un péché d’orgueil, il se redresse contre Dieu, pour marcher d’égal à égal avec lui. Vous serez comme des dieux, lui avait dit le serpent. Il le crut et désobéit. Cette désobéissance inspirée par l’orgueil, reçut son châtiment : la mort, c’est-à-dire la destruction de l’être humain en tant que vivant sur la terre. Symbole effrayant de la désunion foncière entre Dieu et l’homme. Dieu se montre le maître de l’homme et de la mort, qui devient ainsi l’hommage forcé de la servitude humaine vis-à-vis de Dieu. Aussi Jésus se voue à la mort librement, il l’accepte, il la désire, il la prend pour témoigner à Dieu par elle l’hommage de l’humanité entière à sa souveraine grandeur. Et comme le sang qui coule dans nos veines est notre vie physique, Jésus répand tout son sang, toute cette vie physique et l’offre à Dieu en acte suprême d’adoration et d’expiation. Son sang est entre ses mains l’adoration de la souveraine majesté du Créateur, l’expiation pour les péchés du monde. Adoration et expiation infinies, parce que Jésus est Dieu et homme.
Épitre de saint Paul aux Hébreux, c. 9. : « Frères, venu en ce monde, comme Pontife des biens futurs, le Christ est entré une fois dans le Saint des Saints, en passant par un tabernacle plus grand et plus parfait, non bâti de main d’homme, c’est-à-dire, non formé par le travail ordinaire ; il y est entré non pas avec le sang des boucs et des veaux, mais avec son propre sang, après nous avoir rachetés pour l’éternité.
Car si le sang des boucs et des taureaux, si l’aspersion de l’eau mêlée aux cendres d’une génisse, sanctifient ceux qui sont souillés en purifiant leur corps ; combien plus le sang du Christ, qui, par le Saint-Esprit s’est offert à Dieu comme une victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience de toute œuvre de mort, pour que nous puissions servir le Dieu vivant. C’est pourquoi il est le médiateur du Testament Nouveau, afin que, par la mort qu’il a soufferte pour expier les iniquités qui se commettaient sous le premier Testament, ceux qui sont appelés de Dieu reçoivent l’héritage éternel qui leur fut promis, par Jésus-Christ Notre-Seigneur. »
Saint Paul met en face l’un de l’autre le sang des victimes offertes à Dieu dans la loi Mosaïque et le sang de Jésus, Fils de Dieu. Le sang des victimes était prophétique et ne remettait que les fautes légales. Son action expiatoire pour les hommes et son caractère d’adoration vis-à-vis de Dieu prenaient toute leur force du sang que le Christ devait répandre sur la croix. De sorte que, devant Dieu, le sang de Jésus seul a une valeur infinie réelle d’adoration, d’expiation, de salut pour les âmes.
Graduel : « C’est celui-ci qui vient avec l’eau et le sang, Jésus-Christ, non pas avec l’eau seulement mais avec l’eau et le sang. Il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le Verbe et l’Esprit-Saint, et ces trois ne sont qu’un. Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre, l’esprit, l’eau et le sang, et ces trois ne sont qu’un. »
Alléluia, Alléluia : « si nous acceptons le témoignage des hommes, à plus forte raison le témoignage de Dieu qui est plus grand ».
Il s’agit dans ces textes de saint Jean des preuves venues du ciel et de la terre en faveur de Jésus Fils de Dieu et homme.
Preuves ou témoignages du ciel, pour établir sa divinité, preuves ou témoignages de la terre pour établir la réalité de son humanité.
Le Père a rendu témoignage à son Fils, au baptême de Jésus, à sa Transfiguration : celui-ci est mon Fils bien aimé. L’Esprit-Saint a rendu témoignage en descendant sur lui en forme de colombe et plus encore, de façon merveilleuse, en venant sur ses disciples comme une langue de feu, à la Pentecôte. Le Fils s’est rendu témoignage à lui-même, par sa doctrine et par ses miracles. Il disait lui-même : Si vous ne croyez pas à ma parole, croyez à mes œuvres, tellement elles étaient indéniables et prouvaient sa divinité.
Mais le Fils de Dieu est homme. Il fallait prouver également la réalité de son humanité : âme et chair. Jésus l’a prouvée par l’esprit, puisqu’il a pensé comme nous, qu’il a aimé comme nous, et que, vraiment homme, il est mort en rendant l’âme comme nous. Il a prouvé la réalité de son humanité par le sang répandu à flots et cette eau qui sortit de son côté ouvert. Vrai Dieu, vrai homme, ainsi se présente Jésus. Nous pouvons avoir foi au témoignage de Dieu, le plus grand, au témoignage humain, visible de la vie et de la mort de Jésus.
Évangile selon saint Jean, c. 19. : « En ce temps-là Jésus ayant reçu le vinaigre dit : Tout est consommé. Inclinant la tête, il rendit l’âme. Or les Juifs (on était au vendredi de la Préparation pascale) ne voulant pas que les corps restassent en croix le jour du Sabbat, car ce jour du Sabbat était très solennel, prièrent Pilate de faire briser les jambes des crucifiés et de les enlever. Des soldats vinrent donc et ils brisèrent les jambes du premier et de l’autre qui avait été crucifié avec lui. Mais quand ils approchèrent de Jésus et qu’ils virent qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais l’un des soldats lui ouvrit le côté de la lance et il en sortit aussitôt du sang et de l’eau. Celui qui l’a vu en rend témoignage et son témoignage est vrai. »
« Celui qui l’a vu » c’est Jean, celui que Jésus aimait. Il n’a pas quitté la croix de son Maître. Il est là avec la Mère de Jésus, Madeleine et d’autres femmes qui l’ont suivi pendant sa douloureuse Passion. Jean voit les soldats arriver. Il regarde anxieux le corps de son Maître : Sa tête s’est doucement inclinée, ses yeux sont clos, de ses mains, de ses pieds affreusement mutilés, le sang achève de couler goutte à goutte. Un silence profond règne autour de la croix, que le pas des soldats vient troubler. Que vont-ils faire ? Les saintes femmes apeurées se pressent l’une contre l’autre, Jean regarde. Les soldats brisent les jambes des deux larrons, qui respiraient encore. Ils viennent près de Jésus, ils le contemplent : mort, il est bien mort. A quoi bon lui briser les jambes ? Il était écrit : Aucun de ses os ne sera brisé, et ces soldats, sans le savoir, réalisent la prophétie. Mais l’un d’eux, pour plus de sûreté, frappe son côté droit de sa lance et il frappe avec tant de force, que la pointe de sa lance atteint le cœur de Jésus. Il y avait dans ce cœur, ce cœur de mort, une réserve de sang vermeil, ce sang coule par la blessure et avec lui de l’eau. Jésus nous donne tout son sang, jusqu’à la dernière goutte. De l’eau, source sacrée pour le baptême qui fait les enfants de Dieu ; du sang, pour le Sacrement Eucharistique qui nourrit et perfectionne les enfants de Dieu. Les deux sortent du cœur transpercé de Jésus.
Offertoire : « Le calice de bénédiction que nous bénissons n’est-il pas une communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons n’est-il pas une communion au corps du Christ ? »
Le Sang répandu pour nous sur la croix, nous le possédons, il est entre nos mains, comme le corps meurtri qui était cloué sur le bois. Ce corps et ce sang n’ont pas quitté la terre. Faites- le en souvenir de moi, dit le Maître, c’est-à-dire par ma puissance divine, maître que je suis de tout l’être des créatures, faites comme moi, dites sur le pain : ceci est mon corps, et ce sera mon corps à moi ; dites sur le vin : ceci est le calice de mon sang, et ce sera mon sang à moi. Puis, prenez, mangez et buvez. Je demeure avec vous sur terre jusqu’au dernier jour. Trésor inestimable, ce corps et ce sang de Jésus, qui sont à nous dans la Sainte Eucharistie.
Secrète : « Par ces divins mystères, approchons de Jésus, le médiateur de la nouvelle alliance et que sur vos autels, Seigneur des armées célestes, nous renouvelions l’effusion du sang, plus éloquente que celle d’Abel ».
Les deux effusions du sang, se rejoignent sur la croix : celle d’Abel le juste, immolé par son frère, figure prophétique de Jésus, et celle de Jésus lui-même, mais celle de Jésus a une autre valeur, elle sauve le monde. Au lieu de crier vengeance comme le sang d’Abel, le sang de Jésus crie miséricorde. Et le Père qui est dans les cieux entend la voix de ce sang.
Communion : « Le Christ s’est offert une fois pour effacer les péchés d’un grand nombre. Une seconde fois il apparaîtra, mais sans péché, à ceux qui espèrent en lui, pour les sauver ».
La première venue du Fils de Dieu est pour effacer les péchés par son sang. Quand il reviendra, à la fin des temps, ce ne sera plus pour effacer les péchés par son immolation, mais bien pour donner la joie éternelle à ceux qui auront espéré en lui.
Postcommunion : « Admis, Seigneur, à la table sainte, nous avons bu avec joie aux sources du Sauveur. Que son sang devienne pour nous une source d’eau vive qui jaillisse jusque dans la vie éternelle ».
Si tu savais le Don de Dieu, disait Jésus à la Samaritaine, tu me demanderais à boire et je te donnerais de l’eau vive, de l’eau de source, celle qui ne s’écoule pas sur terre, mais bien celle qui rafraîchit pour l’éternité. Buvons à cette source, les autres sources sont malsaines et tuent.