Fondateur de l’Ordre dominicain
La Messe
C’est avec le respect le plus filial et l’amour le plus profond que nous devons saluer la mémoire de notre Père. A deux genoux, nous contemplerons son visage radieux et nous lui demanderons de se pencher un peu vers nous, lui qui est si haut près de Dieu, pour nous bénir.
Introït : « Le Seigneur a ouvert sa bouche au milieu de l’Église, il l’a rempli de l’esprit de sagesse et d’intelligence. Il l’a revêtu d’un manteau de gloire. — Il l’a comblé d’un trésor de joie et d’allégresse ».
Né à Calaruega en 1170, d’illustre famille apparentée aux rois d’Espagne, élevé par une mère, Jeanne d’Aza, qui était une sainte, étudiant à Palencia où il acquit une solide science de la foi, puis prêtre et chanoine régulier de la cathédrale d’Osma, Dominique apparaît dès l’aurore de sa vie, comme un être de lumière. Sur son front l’étoile qui l’illumina au moment de son baptême a laissé l’éclat de sa splendeur.
De sorte que sa voie, celle que, de toute éternité Dieu lui a tracée, sera une voie lumineuse. Cet homme rayonne de tout lui-même.
Ce qu’il sait de Dieu — et il en sait beaucoup, car son étude était soutenue et dirigée par une pureté d’âme virginale — Dominique ne peut pas le garder pour lui. Il faut qu’il répande la lumière sur tous ceux qui l’approchent. « Le Seigneur lui a ouvert la bouche au milieu de son Église ». Aussi, dès qu’il entre en Languedoc, avec son évêque, Dominique parle, il prêche, il enseigne. Les hérétiques sont comme son bien à lui, le champ personnel qu’il doit cultiver. Rien ne l’arrête dans ce ministère : à Carcassonne, à Prouille, à Fanjeaux, dans tout ce midi de la France que les Albigeois infectent de leur doctrine perverse, Dominique circule, sans peur, sans inquiétude. L’Esprit le pousse et il va, humble, pauvre, pénitent, comme le bon Pasteur, à la recherche de toutes les brebis égarées.
Il était beau, notre Père, dans ces courses apostoliques. Il parlait comme son Maître et il vivait comme son Maître, dévoué, sacrifié, n’ayant pas une pierre à lui pour reposer sa tête.
Nous connaissons sa belle réponse à ceux qui n’ayant pu se saisir de lui, lui demandaient ce qu’il aurait fait s’il était tombé entre leurs mains : Je vous aurais prié, répondit Dominique, de ne pas me tuer d’un seul coup, mais de me couper les membres un à un et, après en avoir mis les morceaux devant moi, de finir par m’arracher les yeux, en me laissant baigné dans mon sang. Tout le cœur apostolique de Dominique est dans ce cri héroïque, qui rappelle l’ardeur du grand martyr, Ignace, ses désirs violents d’être broyé, dévoré par les bêtes pour la gloire de Jésus-Christ. Mais Dominique s’offrait ainsi comme une victime pour le salut de ceux que sa parole ne pouvait ramener à Dieu.
Oraison : « Dieu, qui avez daigné illuminer votre Église par les mérites et la doctrine du bienheureux Dominique, votre Confesseur, notre Père, accordez que, par son intercession, elle ne soit jamais privée des secours temporels et fasse sans cesse de nouveaux progrès spirituels ».
Épître de saint Paul à Timothée, II, c. 4. : « Très cher, je t’adjure devant Dieu et devant le Christ Jésus, qui doit juger les vivants et les morts, par son avènement et son royaume. Prêche la parole, interviens à temps et à contre-temps, reprends, supplie, exhorte en toute longanimité et doctrine. Car un temps viendra où l’on ne supportera plus la saine doctrine. Au gré des convoitises, on se donnera des maîtres nombreux, avec la démangeaison d’apprendre. On détournera l’oreille de la vérité pour la tourner vers des fables. Toi, veille, travaille pour tous, fais œuvre de prédication de l’évangile, remplis tout ton ministère. Sois sobre. Car pour moi, me voici près d’être sacrifié. Le temps de ma mort approche. J’ai combattu le bon combat. J’ai accompli ma course jusqu’au bout. J’ai gardé la foi. Il me reste maintenant à attendre la couronne de justice que me donnera le Seigneur, le juste Juge, au grand jour. Et pas à moi seul, mais à tous ceux qui désirent son avènement. »
Dominique pouvait prendre pour lui-même ces avis suprêmes de Paul à Timothée. Prédicateur infatigable, il comprit vite que son œuvre personnelle serait loin de suffire aux nécessités de l’Église. Il entendait en son âme la voix de l’Esprit-Saint qui le poussait en avant, comme il entendit dans la basilique de Saint-Pierre, les apôtres Pierre et Paul qui lui disaient : Va et prêche ! Aussi une idée, idée grandiose, germa vite dans son esprit. L’idée de fonder un ordre de religieux qui, à son exemple, selon ses principes, prêcheraient la foi dans le monde entier. Cette idée de la sainte prédication universelle est bien de Dominique. A Rome, où il alla la soumettre à Innocent III, il trouva ce Pontife inquiet devant le progrès de l’hérésie et le manque de zélés prédicateurs. Il voulait établir dans chaque diocèse des hommes qui, comme Dominique en celui de Toulouse, catéchiseraient les peuples. Mais de ces prédicateurs diocésains, à la prédication universelle que rêvait Dominique, il y avait loin. Lui, il voulait fonder un ordre qui, en dehors de la hiérarchie diocésaine, sous l’unique autorité du Pape, prêcherait dans le monde entier la foi catholique. La conception d’Innocent III favorisa l’idée de Dominique, elle ne l’inspira pas. Et c’est pourquoi, quand plus tard, Dominique se présenta en 1216 à Honorius III pour obtenir l’approbation de son ordre, la première bulle de ce Pape, qui approuve les prédicateurs diocésains de Saint-Romain de Toulouse, ne lui suffit pas. Ce n’est pas son idée. Il sollicite une autre bulle, le même jour, qui enfin et en des termes magnifiques confirme sa fondation apostolique : « Considérant que les Frères de ton Ordre seront les champions de la foi et les vraies lumières du monde, nous confirmons ton Ordre avec toutes ses terres et possessions présentes et futures. Nous prenons sous notre gouvernement et protection l’Ordre lui-même avec tous ses biens et ses droits ».
Ces quelques lignes accordaient du même coup à l’ordre nouveau l’approbation et l’exemption. Cette fois, le saint Fondateur était content. Son œuvre, l’œuvre de ses sueurs et de son sang était solidement établie. Il pouvait la développer à l’aise. Cet ordre apostolique, le premier dans l’Église, saint Dominique le fonda sur les bases évangéliques de la pauvreté, de la pénitence et de la prière publique.
A Toulouse, en ce milieu hérétique, il fallut pendant quelque temps garder quelques revenus fixes, car on n’eût pas trouvé de quoi vivre. Mais bientôt, Dominique exige de ses fils la pauvreté mendiante. Quand le 15 août 1217, en la fête de l’Assomption, dans cette chapelle de Notre-Dame de Prouille qu’il avait choisie comme la protectrice de son ordre, il disperse ses fils, il veut que la pauvreté mendiante soit leur unique trésor. Il les envoie sans argent, à la garde de Dieu. Et cette décision suprême il la fait ratifier par ses fils et mettre dans ses Constitutions primitives. Désormais les Prêcheurs n’auront aucuns revenus fixes, aucunes propriétés en dehors de leur couvent. Ils vivront en mendiant leur pain.
A cette pauvreté austère, les fils de Dominique ajouteront les pénitences de la vie canoniale ou monastique : les longs jeûnes, l’abstinence perpétuelle, et au détail nombreux d’observances assujettissantes, ils ajouteront la grande, la solennelle Prière liturgique, qui est essentielle à leur état canonial. De sorte que la nuit et le jour ils se réuniront devant leur Maître pour célébrer ses louanges. Liturgie grave, sobre, de haute valeur contemplative. Ils ajouteront encore ce qui est de l’essence de leur vocation apostolique, l’étude profonde, continuelle des sciences divines. Parce que celui qui a mission d’instruire les autres doit d’abord s’instruire soi-même. Et c’est pourquoi, l’Ordre des Prêcheurs sera, selon la prophétie d’Honorius III, un ordre de lumière, comme son Père fut un homme de lumière. Ces quatre principes constitutifs sont la base de l’ordre de Saint Dominique. Ils le portent depuis sept siècles.
Graduel : « La bouche du juste annoncera la sagesse, sa langue publiera ce qui est selon la justice et ses pas ne seront pas chancelants. »
Alléluia, Alléluia : « Dominique, Père très bon, souvenez-vous de votre œuvre. Demeurez devant le Juge suprême pour intercéder en faveur de votre famille de pauvres ».
SÉQUENCE
Que dans la céleste hiérarchie,
une nouvelle harmonie résonne
sur un nouveau cantique.
Que sur terre y réponde
la mélodie de notre chœur
louant ensemble Dominique.
De l’Égypte, l’Auteur du Monde
appelle (nouveau Moïse)
l’homme de sa volonté.
Sur la nacelle de la pauvreté
il passe le fleuve de la vanité
pour le salut des peuples.
Sous la forme d’un chien
le Prêcheur du monde
est montré à sa mère.
Portant dans sa gueule une
torche enflammée,
il pousse les peuples à la
règle de l’amour.
C’est un nouveau législateur,
c’est Elie, ardent de zèle,
détestant le crime.
Il disperse les renards
de Samson, et avec la
trompette de Gédéon, il met en
fuite les armées ennemies.
Encore vivant sur cette terre
il fait sortir d’entre les morts
un enfant et le rend vivant
à sa mère.
D’un signe de croix, il chasse la pluie,
il nourrit une foule de frères
d’un pain envoyé par la
bonté de Dieu.
Heureux celui qui remplit
de joie toute l’Église
en la comblant d’allégresse.
Il remplit l’univers de ses enfants
et, enfin, il est placé
parmi les saints.
Le grain est enfoncé sous terre,
l’astre est caché dans l’ombre,
Mais le Créateur de toutes choses
Fait multiplier les ossements de
Joseph, fait briller la lumière
pour le salut des peuples.
Oh ! Combien prouve la pureté
de sa chair, le parfum, plus
délicieux que toutes les odeurs,
qui sort de son tombeau.
Les malades accourent et sont
guéris, les aveugles, les boiteux
sont rendus à la santé
par la multitude de ses miracles.
Célébrons donc, à pleine voix
les louanges du glorieux Dominique.
Crie pour demander son secours,
en marchant sur ses traces,
peuple indigent.
Et vous, Père miséricordieux, Père
bon, Pasteur et Patron de ce
troupeau, par une prière incessante,
Recommandez, en tout temps
à la cour du Souverain-roi
la cause du troupeau que
vous avez délaissé.
Évangile selon saint Matthieu, c. 5. : « En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples : Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa force, avec quoi salera-t-on ? Il ne sert plus à rien, il est bon à être jeté dehors et foulé aux pieds.
Vous êtes la lumière du monde. Une ville placée sur une montagne ne peut pas être cachée. On n’allume pas davantage une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la place sur un chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Ainsi votre lumière doit briller devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux.
Ne croyez pas que je sois venu pour supprimer la loi ou les prophètes, je suis venu pour en réaliser la perfection. Je vous le dis en vérité : Jusqu’à ce que le ciel et la terre disparaissent, rien, pas même un iota ou un accent ne sera détruit dans la loi, tant que tout ne soit accompli. Donc celui qui violera le moindre des commandements et l’enseignera ainsi aux hommes, sera le plus petit dans le royaume des cieux. Mais celui qui accomplira et enseignera tout, sera grand dans le royaume des cieux. »
Cette page qui, d’ordinaire, se lit pour les Docteurs, convient admirablement à saint Dominique personnellement, et à son ordre. Lumière du monde il le fut et son ordre le demeure. Car, pour mettre sa signature au bas de la bulle d’Honorius III, prédisant que les fils de Dominique seraient les vraies lumières du monde, Dieu a suscité parmi la foule de ses docteurs, le Docteur par excellence, saint Thomas d’Aquin. Il incarne en sa personne toute la lumière dominicaine qui, par lui, est devenue la lumière de l’Église. De telle sorte que Dominique sera maître de doctrine, dans le monde entier, jusqu’à la fin des temps. C’est sa prédestination.
Offertoire : « Seigneur, vous avez réalisé les désirs de son cœur, vous avez exaucé la prière de ses lèvres : vous avez posé sur sa tête une couronne de pierres précieuses ».
Secrète : « Sanctifiez, Seigneur, les offrandes que nous vous consacrons, afin que, par les mérites du bienheureux Dominique, votre Confesseur, notre Père, elles soient utiles à notre guérison (spirituelle) ».
Communion : « Il fut le serviteur fidèle et sage, que le Seigneur mit à la tête de sa famille, pour lui donner en temps voulu tout le froment nécessaire ».
Postcommunion : « Accordez-nous, Dieu tout- puissant, que, défaillant sous le poids de nos fautes, nous soyons relevés par la protection du bienheureux Dominique, votre Confesseur, notre Père ».
Quand le bienheureux Père allait mourir, il dit à ses fils, effondrés de douleur : « Ne pleurez pas, mes fils bien-aimés, que ma mort ne vous trouble pas. Au lieu où je vais, je vous serai plus utile que je ne le fus ici. Père, lui dit le Prieur de Bologne, souvenez-vous de nous devant le Seigneur ! Et lui, déjà absorbé en Dieu, levant les mains, dit : Père Saint, vous savez que j’ai accompli joyeusement votre volonté et ceux que vous m’avez donnés, je les ai conservés. Je vous les recommande. Conservez-les, gardez-les ; pour moi, je viens à vous Père céleste ».
L’instant suprême approchait : « Commencez la recommandation de l’âme », dit Dominique au Prieur, et, à genoux autour de leur Père expirant, les Frères invoquaient les Anges et les Saints dont il allait partager la gloire : « Venez au-devant de lui, Anges du Seigneur, prenez son âme et portez-la en présence du Très-Haut ». A ces mots, les mains toujours levées au ciel, comme les tendant à son Père, Dominique rendit le dernier soupir. C’était le sixième d’août 1221. Il avait cinquante et un ans.
Douze ans après, Grégoire IX, son ami, canonisait solennellement le Fondateur des Prêcheurs glorifié devant les hommes par d’éclatants et nombreux miracles. Ses restes vénérés, retirés de l’humble sépulcre où ils avaient été déposés, reposent depuis lors dans un tombeau en marbre blanc dont la pureté et la gracieuse harmonie des lignes redisent l’innocence sereine et la tendresse de cœur de celui qu’il honore.
Les Frères tremblaient, en voyant mourir leur Père, car la famille dominicaine était encore jeune, fragile, et ils se demandaient ce qu’allait devenir cette œuvre si belle. Dominique leur montre Dieu et les rassure. Où il va il gouvernera toujours son Ordre. Il en est le Maître-Général perpétuel. Et c’est pourquoi, confiant dans sa promesse, nous lui redisons depuis sept siècles cette belle et filiale prière : « O merveilleux espoir, que vous avez donné à l’heure de votre mort à ceux qui vous pleuraient ! En leur disant qu’après votre mort vous seriez utile aux Frères — accomplissez, Père, ce que vous avez dit, en nous secourant par vos prières. — Vous qui vous êtes tant illustré par des prodiges en guérissant les malades, donnez-nous le secours du Christ et guérissez nos cœurs endoloris ». Dominique le fait depuis sept siècles, il dirige son ordre, il le soutient dans ses faiblesses, il l’excite dans ses élans, il l’illumine par sa doctrine, il vit en lui et toujours rayonne par lui. Il demeure dans l’Église l’homme de lumière et la force de sa voix résonne encore jusqu’aux extrémités de la terre. Il avait, dit sœur Cécile, une voix forte et sonnant bien. On l’entend toujours.