Abbé
Né à Athènes de race royale, Gilles, dès son premier âge, s’adonnait de telle sorte aux lettres divines et aux œuvres de charité, qu’il ne semblait avoir souci d’aucune autre chose.
Aussi, ses parents morts, distribua-t-il aux pauvres tout son patrimoine, allant jusqu’à dépouiller sa tunique pour en couvrir un malade dans l’indigence. Celui-ci avait aussitôt recouvré la santé ; puis survinrent beaucoup d’autres miracles ; en sorte que, craignant la renommée qui ne pouvait manquer d’en résulter pour lui, Gilles se rendit à Arles auprès de saint Césaire.
Deux ans après, il le quittait pour s’enfoncer dans la solitude. Longtemps il n’eut pour nourriture que des herbes, des racines, et le lait d’une biche qui venait à lui à des heures déterminées. Admirable était devenue sa sainteté, quand un jour cette biche, poursuivie par la meute royale, s’enfuit vers la grotte du bienheureux ; le roi de France, l’ayant ainsi découvert, obtint à force d’instances qu’il voulut bien laisser bâtir un monastère au
lieu où se trouvait cette caverne. A la prière du prince, Gilles en prit malgré lui la conduite ; et c’est après s’être plusieurs années prudemment et pieusement acquitté de cette charge, qu’il passa au ciel.
Homme simple et droit, qui craint Dieu et s’éloigne du mal (Job 1. 8.) : ainsi les lectures de la nuit, dans l’Office du Temps, nous décrivent le juste ; c’est tout le portrait du saint moine proposé par l’Église à l’hommage de notre admiration, de notre imitation, de notre prière.
Fuyant les hommes pour trouver Dieu, il s’éloigne d’une patrie où sa naissance, où ses vertus plus encore, empêchent qu’il ne soit ignoré ; il sort des villes où les miracles que la charité lui impose menacent de le mettre en lumière. Errant des rivages de la Grèce aux bords du Rhône, il s’arrête enfin dans les forêts de la Septimanie ; là s’offre à lui, croit-il, cette solitude définitive qu’il avait rêvée.
Trois années durant, tout à l’action de grâces au fond d’une caverne obstruée par les ronces, il prie pour le salut du peuple – ; il vit d’herbes et d’eau pure, jusqu’à ce que vienne à lui la biche que le Seigneur a préparée pour lui donner son lait, et bientôt, hélas ! le trahir encore. Un jour, dépistée, traquée par la meute royale, elle fuit tremblante, amenant au Saint les chasseurs. Près de lui s’est calmé son effroi mortel ; mais une flèche qui devait l’atteindre a traversé la main de Gilles qui ne se guérira pas, qu’il refusera de laisser panser pour goûter jusqu’à la fin de sa vie la souffrance.
Douleur plus grande : près de sa retraite ainsi révélée, un monastère s’élève, dont il est contraint de devenir le père ; les prodiges se multiplient, les foules accourent ; c’en est fait de l’oubli des hommes, du silence de sa forêt bien-aimée.
Après la mort du serviteur de Dieu, le flot des arrivants croît toujours ; du Nord, de l’Orient, du Midi, les multitudes viennent présenter leurs prières, acquitter leurs vœux, au tombeau de celui que nos pères appellent l’un des Saints les plus secourables du paradis. Aux inconnus se joignent les Pontifes et les rois. Rencontre touchante : c’étaient surtout les guerriers et les petits enfants que l’on voyait affluer près des reliques saintes, ceux-là partant pour la croisade armés de toutes pièces, ceux-ci portés sur les bras de leurs mères ; tous se confiant à l’humble et doux moine qui apaisa au péril de sa vie les terreurs de la biche de la forêt ; tous implorant sa protection contre les frayeurs qui s’emparent des plus braves au milieu des combats, ou viennent troubler le calme des berceaux.
Alors, avec Rome et Compostelle, Saint-Gilles était considéré comme l’un des trois grands pèlerinages de l’Occident. Au-dessus des restes du bienheureux s’élevait une gigantesque église, que l’on a signalée comme « le type

le plus parfait du style byzantin parvenu au plus haut degré de splendeur. » A l’entour, une ville de trente mille feux remplaçait le désert de jadis. Le plus illustre des puissants comtes de Toulouse donnait le pas sur tous ses autres titres à celui qu’il tenait de la noble cité ; Raymond de Saint-Gilles fut le nom sous lequel il voulut être connu dans l’histoire. Raymond VI, son trop oublieux descendant, expiait cent ans plus tard au seuil de la célèbre basilique ses connivences avec l’hérésie ; notre Saint, qui venait de donner à Pierre de Castelnau l’hospitalité de la tombe, ouvrait ses portes à la réconciliation du meurtrier présumé du martyr.
Mais nous ne finirions plus : d’autant qu’il faudrait maintenant dire les églises, les paroisses, les abbayes, les autels sans nombre consacrés à saint Gilles sur tous les points de la chrétienté : sources de grâces, centres nouveaux de multiples pèlerinages. Espagne, Italie, Belgique, Allemagne, Hongrie, Bavière, Pologne, rivalisent sous ce rapport avec notre France ; l’Angleterre ne le cède à aucun pays du monde, avec -les cent quarante-six sanctuaires dédiés par elle au pieux moine et les honneurs que lui continue l’Église établie.