Mar 5

Daphné Pochin Mould (1920-2014)

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 Une brebis méchante

« Je ne voulais pas devenir catholique. Mon intention n’était pas de me soumettre à l’Église, mais de l’attaquer. Je n’étais pas une brebis égarée, mais une brebis méchante, obstinée… »

Née à Salisbury (Angleterre) en 1920, Daphné Pochin Mould fait de brillantes études de géologie à Édimbourg (Écosse).

De son enfance anglicane, elle conserve seulement les préjugés habituels contre l’Église catholique (superstitieuse, intolérante, rigoriste, dominatrice, etc.). Agnostique militante, elle est persuadée que la religion n’est qu’un moyen d’asservir les hommes.

« Je pensais que je devais m’attaquer à l’ignorance, à la superstition, à cette lâcheté de ceux qui, croyant en un autre monde, pensent pouvoir se dispenser de lutter ici-bas contre le mal et l’erreur. »

Pour étudier l’évangélisation de l’Écosse par saint Columba de Iona, à la fin du 6siècle, elle doit se rendre au monastère bénédictin de Fort Augustus. Là, pour la première fois, elle aborde un prêtre catholique.

« Je n’ai jamais été plus effrayée de ma vie que ce jour là ».

En parlant avec ce moine, le père Augustin, elle découvre que la foi n’est pas ce qu’elle imaginait.

Elle voyait la foi comme une démission de la raison, une fuite de la réalité, une lâcheté. Or elle constate que les catholiques ont des arguments rationnels !

La démonstration de l’existence de Dieu, que lui fait le père Augustin, ne la convainc pas entièrement du premier coup : elle la trouve trop abstraite, trop philosophique, trop différente de la méthode scientifique à laquelle elle est habituée. Mais elle doit admettre qu’il y a différents types de connaissance et de recherche. La méthode scientifique est valable en son ordre, mais ne peut résoudre les problèmes fondamentaux : le sens de l’existence ; la nature dernière de l’homme et du monde ; ni même l’expérience de la beauté :

« Dans ces montagnes d’Écosse si riches de contrastes, formes et de couleur, je voyais une réalisation de la beauté et l’idée s’imposait à moi, avec toujours plus de force, qu’au-delà de l’enchantement de ces monts, devait exister une dernière et ultime beauté ; que tous ces éléments de vérité que j’atteignais par la science annonçaient un quelque chose qui était la vérité en elle-même ; que cette vérité ultime devait être marquée d’une beauté et d’une splendeur transcendante dont la lumière de soleil sur les collines me donnait déjà quelque idée. »

Provisoirement, Daphné décide d’admettre l’existence de Dieu à titre d’« hypothèse de travail ». Elle change d’avis concernant l’Église. Elle n’y voit plus une force obscurantiste et oppressive exploitant une religiosité aveugle. Elle comprend qu’en définitive la réalité suprême est en jeu :

« Soudain, l’Église m’apparut comme concernant Dieu et non comme une affaire de pur sentiment. L’Église se révéla à moi comme concernant la vérité et la beauté, la pénitence et l’austérité ; plus encore, la vaste aventure de la sainteté. »

 Une longue enquête

C’est beau, grand, noble, généreux, mais est-ce vrai ? N’est-ce pas seulement une vaste illusion ?

Daphné est encore loin d’avoir la foi. A la question : « Voulez-vous devenir catholique ? », elle répond fermement : « Seulement si le catholicisme est vrai ! » Et elle a encore beaucoup d’objections. Mais au fond, son agnosticisme ne la satisfait guère.

La grande question, c’est Jésus-Christ. Mais avant d’étudier sa vie, Daphné se sent bloquée par les miracles. Elle y répugne, elle se cabre. Mais à la réflexion, elle doit admettre que cette réaction passionnelle n’est pas raisonnable. Elle reconnaît :

« Il est plus scientifique d’examiner la possibilité d’un miracle que de refuser a priori de l’admettre. »

La lecture méthodique des quatre évangiles est un véritable bouleversement. Elle n’en connaissait que des fragments. Elle découvre, dans son ensemble, une doctrine tellement riche, tellement profonde, et en même temps tellement simple, tellement équilibrée, qu’il est difficile d’admettre qu’un simple homme, même un prophète ou un saint, puisse en être l’auteur.

Faut-il donc admettre que Jésus est Dieu ? Daphné n’est pas prête. Elle est fascinée par sa personnalité, mais elle n’arrive pas conclure.

« Je savais bien que reconnaître la valeur de l’Évangile, c’était accepter le Christ et Rome. J’avais besoin d’une longue rumination. »

Au printemps 1950, Daphné entreprend une étude approfondie sur l’histoire de l’Église. Elle est frappée par les terribles crises qui l’affectent régulièrement (persécutions, hérésies, décadence ou incapacité du clergé, etc.) Plus d’une dizaine de fois, l’Église aurait dû disparaître sous les coups de ses ennemis ou sous les vices de ses propres membres (parfois prêtres, évêques ou papes !). Mais chaque fois des saints se lèvent, redressent une situation humainement désespérée, et, finalement, l’Église se relève plus vive que jamais. Par ailleurs, les chefs de l’Église auraient pu profiter de leurs pouvoirs pour justifier doctrinalement leurs fautes. Il n’en a rien été. L’infaillibilité du pape n’est donc pas une prétention simpliste.

Prière au conditionnel

Finalement, Daphné est obligée de reconnaître à la fois l’éminence du Christ et celle de l’Église catholique. Mais la grande question demeure : Jésus-Christ est il vraiment Dieu ? Daphné n’arrive pas à trancher :

« Plus je ruminais l’historicité des Évangiles, plus je reconnaissais à l’évidence que je devais accepter le Christ ; cette perspective me révoltait violemment. Cependant cette nature que je parcourais, la création de Dieu que j’admirais était de la même main que celle qui avait fait l’histoire de l’Évangile. »

« Vous devez prier vous-même » lui déclare le père Augustin. Daphné en est profondément irritée. Quelle est la rigueur d’une telle démarche ? N’est-ce pas risquer de s’autosuggestionner, fausser la démarche scientifique ? Elle veut refuser, mais elle se sent mystérieusement incitée à tenter l’expérience. Elle prie, au conditionnel, afin d’être en paix avec sa conscience. Après avoir invoqué Dieu, elle ajoute immédiatement : « s’il existe », par précaution, pour être sûre de ne pas brûler indûment les étapes. Puis elle lui demande de l’éclairer.

Elle décide d’assister à la messe – à titre documentaire, sans vraiment y participer – et elle compare attentivement le Missel Romain, qui contient le rite catholique traditionnel de la messe, avec le ‘Prayer Book’ des anglicans. Elle est frappée par la supériorité du premier. Le rite catholique traditionnel est à la fois sobre et beau, digne et précis. Elle apprécie particulièrement les formules latines qui savent « dire toujours ce qu’il faut avec le mot qu’il faut » :

« Je pensais à mes expériences de la beauté des montagnes et des grèves des îles Hébrides ; j’avais appris à identifier la Vérité suprême avec la Beauté suprême ; maintenant la simple lecture du Missel m’impressionnait profondément. Si l’Église romaine est capable de produire une telle liturgie, il est hautement probable qu’elle est en possession de la vérité sur Dieu. »

Peu à peu, Daphné sent tomber toutes ses objections. Mais elle s’interroge : ai-je vraiment la foi ?

« J’avais toujours cru que la foi est un pieux sentiment, une disposition émotionnelle et euphorique, analogue à celle que crée en nous la musique ou le vin. Or, voici que je ne n’éprouvais aucunement de tels sentiments, alors qu’un mouvement intérieur toujours plus fort me poussait à faire le pas décisif de l’acceptation totale de la foi catholique. »

Finalement, Daphné Poncin Mould cède à la grâce :

« Celui qui a toujours vécu dans la foi catholique ne peut imaginer ce que représente pour un agnostique la perspective d’une telle démarche. C’est une chose d’être convaincue intellectuellement de la vérité de la position de Rome, c’est une autre de s’engager soi-même à devenir catholique. »

« Accepter l’autorité romaine, déclarer que l’on croira tout ce que l’Église propose de croire, m’apparaissait un pas désespéré, un suicide de l’esprit. Je redoutais toute autorité. Je gardais encore un attachement profond pour l’individualisme protestant. Comment, dans ces conditions, pourrais-je me soumettre à une église autoritaire comme était celle de Rome ? »

Une barrière est tombée

Daphné est condamnée par sa famille (qui ne veut plus la voir) et par ses amis (qui s’écartent).

Elle est reçue dans l’Église catholique le 11 novembre 1950. Elle trouve la paix et la joie de l’âme :

« Ma première impression était que la barrière entre Dieu et moi était tombée. La seconde impression était qu’en devenant catholique, j’avais fais une démarche qui était un commencement et non une fin.

J’avais considéré la foi catholique uniquement comme une collection de croyances, un code de morale ; j’avais oublié qu’elle était d’abord et avant tout un contact avec Dieu, avec l’Être infiniment aimable. Une telle aventure ne connaît pas de fin.

Je compris que le catholique qui s’efforce de comprendre Dieu toujours davantage n’est jamais en danger de se sentir borné, limité. Nous sommes faits pour contempler Dieu. »

Elle saisit qu’on a besoin de Marie pour pénétrer vraiment les mystères de l’Évangile, et elle s’attache au Rosaire :

« Quand je fus reçue dans l’Église, je pensais à Dieu surtout en terme de Vérité, de Beauté, de Bonté. Je n’avais pas une vraie dévotion à la personne du Christ.

Maintenant, lisant les Évangiles, je me sentais attirée par sa personnalité et je priais la Vierge de m’aider à mieux connaître son Fils. »

Elle découvre également le vrai visage de l’Église :

Coeur Sacré de Jésus

« Le trait de l’Église qui m’a sans doute le plus surpris c’est la douceur. Cette douceur est la douceur de la force. L’Église est maternelle, mais avec l’absolue certitude qu’elle détient la vérité. Que j’étais loin de mes idées sur l’intolérance et la violence des papistes ! »

Bibliographie :

  • Daphne Pochin Mould, The Rock of Truth
    (autobiographie relatant sa conversion), London, Sheet and Ward, 1953.
  • François Russo S. J. Le Roc de la certitude, Daphne Pochin Mould
    (résumé en français de l’ouvrage précédent), Bruxelles, Foyer Notre-Dame, 1962.