Juil 11

Les faux prophètes : gratuits, laïcs et obligatoires

Loup déguisé en brebispar le Père Emmanuel (en juillet 1883)

La Parole de Notre-Seigneur a ce privilège par-dessus la parole de l’homme, qu’elle est de tous les temps, et qu’elle fait la lumière sur toutes les situations. Voici, dans notre Évangile du VIIe dimanche, un fragment de sermon adressé par Notre-Seigneur aux juifs de la Galilée, il y a près de deux mille ans, et il n’est pas moins à l’adresse des hommes de notre temps qu’il ne l’était à l’adresse des juifs de ce temps-là. Les hommes ont au fond les mêmes infirmités, les mêmes indigences, et Notre-Seigneur en versant sur nous le baume de sa parole nous instruit tous, nous guérit tous, nous sauve tous ; seul il fait cela, et seul il peut le faire, parce qu’il est l’unique Sauveur de tous. Écoutons-le :

Attendite a falsis prophetis,

Gardez-vous des faux prophètes ! Tous les temps ont eu leurs faux prophètes, comme tous les temps ont eu leurs vrais prophètes. Les uns apportent aux hommes la parole de Dieu, les autres la parole de l’homme. Mais il faut bien convenir, que jamais la parole de l’homme n’a eu autant de puissance que dans ces derniers temps. Raison de plus pour nous de nous tenir en garde, et de rechercher avec plus de sollicitude que jamais la bonne parole, la parole de Dieu.

Qui veniunt ad vos

Qui viennent à vous. Vous n’avez pas à aller chercher ces faux prophètes, ils font toutes les avances, ils viennent à vous, c’est gratuit !

…in vestimentis ovium,

Ils ont la peau de brebis : chez eux tout est doux et facile ; tout est flatteur, tout est engageant parce qu’ils semblent ne nous engager à rien, et même ils veulent nous dégager de tout, c’est laïque !

…intrinsecus autem

Mais au-dedans,les apparences sont trompeuses, il ne faut pas les juger sur la mine, mais chercher à reconnaître ce qu’ils sont au-dedans.

…sunt lupi rapaces.

Au-dedans ils sont des loups rapaces. Ils veulent simplement nous dévorer : dévorer notre foi, dévorer nos âmes, et surtout les âmes des enfants ; ceci est obligatoire !

A fructibus eorum cognoscetis eos.

A leurs fruits vous les reconnaîtrez. Voyez les œuvres, vous saurez ce que sont les ouvriers. Les paroles peuvent tromper, les œuvres ne trompent pas. Qui fait mal, n’est pas le prophète de Dieu.

Numquid colligunt de spinis uvas, aut de tribulis ficus ?

Est-ce qu’on récolte des raisins sur des épines, ou des figues sur des ronces ? Les épines et les ronces sont les fruits de la chute originelle. Dieu dit à l’homme tombé : La terre te produira des épines et des ronces (Gn 3, 18).

Les figues qui guérissent (Is 38, 21), les raisins qui réjouissent (Ps 103, 15) désignent ce que les faux prophètes ne sauraient donner, et ce que nous ne pouvons trouver que dans la parole de Jésus. Joël, un prophète vrai, dit à ce sujet : « O terre, cesse de craindre, tressaille d’allégresse, parce que le Seigneur va faire de grandes choses : les arbres porteront leur fruit, le figuier et la vigne pousseront avec vigueur. Et vous, enfants de Sion, soyez dans l’allégresse, réjouissez-vous dans le Seigneur votre Dieu, parce qu’il vous a donné le docteur de la justice » (Jl 2, 21-23).

Père Emmanuel sur son lit de mortSic omnis arbor bona fructus bonos facit : mala autem arbor malos fructus facit.

Ainsi tout arbre bon produit de bons fruits : mais tout arbre mauvais fait de mauvais fruits. Notre divin Maître compare ses prophètes à des arbres, lesquels se reconnaissent, comme de juste, à leurs fruits. Il faut dire que les faux prophètes du temps présent peuvent encore se reconnaître à un autre signe, à savoir à leurs feuilles. Ils en ont de grandes, ils en ont de moyennes, ils en ont de petites. Il y en a à tout prix. Qui ne connaît les feuilles à un sou ?

Non potest arbor bona malos fructus facere : neque arbor mala bonos fructus facere.

L’arbre bon ne peut pas produire de mauvais fruits, ni l’arbre mauvais en produire de bons. Voilà qui juge et termine la cause des prophètes du jour : ils veulent mettre tous les arbres au même rang ; pour eux tout est également bon, tout doit être également toléré. Mais la parole de Notre-Seigneur convainc de fausseté leurs théories hypocrites. Ils réclament la tolérance universelle, afin que le mal ait la facilité d’étouffer le bien.

Omnis arbor quæ non facit fructum bonum, excidetur et in ignem mittetur.

Tout arbre qui ne fait pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu. Combien d’arbres de ce genre notre pauvre terre a portés ; ils ont été coupés et, actuellement, ils sont au feu. Combien nous en voyons que la terre porte encore aujourd’hui, et auxquels est réservé le même sort. Eux aussi, à l’heure de Dieu, ils disparaîtront et iront au feu, au feu éternel, dit Notre-Seigneur.

Igitur ex fructibus eorum cognoscetis eos.

Donc, à leurs fruits vous les reconnaîtrez. Notre-Seigneur avait déjà affirmé la même vérité dans les mêmes termes ; après l’avoir prouvée, il l’énonce de nouveau comme chose démontrée : Donc, à leurs fruits vous les reconnaîtrez.

Mais on pourrait demander : Quels sont les fruits vraiment bons auxquels on pourra reconnaître les arbres bons, et les prophètes vrais ? Notre-Seigneur répond :

Non omnis qui dicit mihi : Domine, Domine, intrabit in regnum cœlorum.

Ce n’est pas quiconque me dit : Seigneur, Seigneur, qui entrera dans le Royaume des cieux. Ainsi les fruits vraiment bons sont ceux qui nous font entrer au Royaume des cieux : par ce seul mot, Notre-Seigneur juge une immense quantité de fruits, qui ne seront pas rangés parmi les bons. Tous les fruits qui n’auront pas été arrosés des eaux salutaires de la grâce et n’auront pas poussé sur le terrain de la foi, ne sont pas de bons fruits.

Les bonnes paroles, quand elles sont seules, et sans les bonnes œuvres, ne seront comptées que comme des feuilles inutiles, ou comme des peaux qui ne sont pas les brebis, puisque les loups peuvent s’en revêtir. Dieu ne se paie pas de vaines paroles.

Sed qui facit voluntatem Patris mei, qui in cœlis est, ipse intrabit in regnum cœlorum.

Mais celui qui fait la volonté de mon Père, qui est dans les cieux, celui-là entrera dans le Royaume des cieux. Le signe auquel on reconnaît les bons fruits, c’est l’obéissance à Dieu, c’est l’accomplissement fidèle de sa volonté sainte. Les faux prophètes nous promettent la liberté, et à cette fin ils nous proclament affranchis vis-à-vis de Dieu. Cette liberté, dit saint Pierre, est le voile du mal. (1 P 2, 16.) Les vrais prophètes nous enseignent l’obéissance à Dieu et, par cette obéissance, ils nous affranchissent du mal, et nous mènent à la liberté vraie. La liberté, dit saint Augustin, c’est la charité. Libertas est caritas.

Père Emmanuel (1826-1903) du Mesnil-Saint-Loup.

Voir le Sel de la Terre 44
(numéro spécial sur le Père Emmanuel, 480 pages)