Juin 21

Vous avez dit : « janséniste » ?

Père Lacordaire (1802-1861)Le Père Henri-Dominique Lacordaire (1802-1861), qui restaura l’Ordre dominicain en France au 19e siècle, avait des tendances libérales.

Mais à une fidèle, qui se voyait traiter de « janséniste », il écrivait ces vérités :

« Ma fille en Notre-Seigneur. Vous ne devez pas être étonnée qu’on vous trouve un peu Janséniste. C’est un mot devenu à la mode pour désigner ceux qui tâchent de mettre leurs mœurs en harmonie avec les sentiments de foi et de charité dont ils sont imbus. Beaucoup de personnes, par ignorance de la véritable vie chrétienne, sont réduites à la réception fréquente des sacrements, jointe à des mouvements de dévotion pour Dieu et à l’abstention du péché mortel, et elles sont tout étonnées si on vient leur dire qu’il faut en outre imiter Jésus-Christ dans sa pauvreté, son humilité, sa pénitence, son abnégation de soi-même, sa flagellation et son crucifiement, les seules choses qui coûtent réellement à notre nature corrompue. Pourtant, l’Évangile est plein de cette nécessité de vivre comme Jésus-Christ, la vie des saints en est remplie, les écrits des Pères la répètent à tout venant ; mais il est plus facile de se faire un christianisme qui permette de vivre comme le monde, sauf le péché mortel.

« Il est vrai que bien des âmes, au commencement surtout, sont incapables de faire plus ; il faut ménager leur faiblesse, y compatir, leur inculquer la différence des préceptes et des conseils, mais cependant ne pas leur laisser ignorer que nous sommes tenus à nous perfectionner dans la vie chrétienne, ce qui exige un certain effort pour nous affranchir du monde avec le temps et l’action continue de la grâce. Qu’est-ce qu’une femme riche et titrée qui se prend à communier toutes les semaines et qui reste aussi vaine qu’auparavant, aussi délicatement couchée et habillée, aussi grande et fière dame, aussi joueuse, aussi adonnée, et sans nécessité, à tout les plaisirs du monde ? Est-il possible de concevoir rien de plus ridicule qu’une semblable conversion ? Ce sont ces belles converties qui crient au jansénisme, de concert avec les directeurs qui les endorment dans la pensée qu’elles sont devenues des saintes.

« Le jansénisme a été une déplorable hérésie, un bouleversement de toutes les idées chrétiennes sur la liberté de l’homme, la bonté de Dieu, l’application du sang de Jésus-Christ à tous les hommes. Ces tristes penseurs craignaient horriblement que Dieu ne fût trop bon ; mais qu’y a-t-il de commun entre cette odieuse doctrine et la conviction dogmatique et pratique qu’il faut aimer Jésus-Christ comme il nous a aimés, non pas de bouche mais de cœur, non pas seulement de cœur, mais d’effet, jusqu’à la Croix enfin, et au Calvaire ? Que ceux qui n’en ont pas encore le courage se confient à Dieu, qu’ils lui demandent pardon de leur faiblesse, qu’ils avancent lentement dans la voie étroite, mais enfin qu’ils avancent, et surtout qu’ils ne se fassent pas de leurs misères un système qui les encourage à rester ce qu’ils sont. Voilà la doctrine que nous trouvons dans l’Évangile, dans les Épîtres de saint Paul, dans l’Imitation de Jésus-Christ, dans les lettres de saint Jérôme, dans la vie des saints et dans notre propre cœur assisté de la grâce divine. »